Steve Darcis restera dans les annales comme le tout premier vainqueur de l’Open Sopra Steria, en 2016. Un joli moment d’émotion dont le Belge de 35 ans se rappelle encore… Nous sommes justement allés à sa rencontre pour mieux comprendre la place de l’émotion dans la vie d’un joueur de tennis. Témoignage.
Tu sors d’une année noire suite à une blessure au coude qui t’a pourri la vie après la finale de la Coupe Davis, en 2017. Comment vas-tu aujourd’hui ?
Je rejoue sans douleurs ! J’ai même vécu un bon début d’année, mais, malheureusement, je me suis fait un peu mal à Pau (NDLR : un ATP Challenger 90 où il a atteint la finale), début mars. J’ai été à l’arrêt quelques semaines et mes trois premiers tournois sur terre battue ont été compliqués, ce n’était pas d’un grand niveau (rires). Mais je n’ai plus de douleurs, et c’est l’essentiel !
C’était fort de revenir sur le circuit après un an d’absence…
C’était exceptionnel, oui ! En début d’année, j’étais super ému de gagner, de ne plus avoir mal en jouant… C’est pour ça que je me suis battu. Je voulais me laisser une dernière chance. Il me reste six ou sept mois ; je ferai ensuite le point pour savoir su je continue ou si j’arrête. Mais je voulais avoir le choix.
Tu te rappelles de ta première grande émotion tennistique, sur un court ?
Ma première fois en Coupe Davis, sans hésiter ! C’était pourtant un match qui ne comptait plus vraiment, face aux Etats-Unis. En 2005, je crois. Cela restera gravé à jamais dans ma tête, c’est pour des moments comme celui-ci que j’ai commencé le tennis !
« La Coupe Davis, ce sont des moments d’émotion que tu ne peux pas oublier ! »
Ce n’est pas pour rien qu’on t’appelait « Mister Coupe Davis » avant tes soucis physiques…
La Coupe Davis, ce sont à la fois de très, très bons souvenirs… et de très mauvais. On fait deux fois des parcours exceptionnels, personne ne nous attendait, on va en finale (NDLR : en 2015 et 2017)… Mais, malheureusement pour moi, j’ai été à chaque fois blessé pour ces deux rendez-vous. Honnêtement, ce sont des moments d’émotion que tu ne peux pas oublier. Un public de folie, tes partenaires, l’esprit d’équipe… Se retrouver tous ensemble et vivre de telles émotions, c’était incroyable. Et ça faisait beaucoup de bien.
Des souvenirs magnifiques, tu en as aussi dans ton parcours individuel. Même si je crois que ta victoire face à Nadal, à Wimbledon 2013, t’avait laissé un sentiment mitigé…
C’était un match incroyable, clairement, une victoire magnifique ! Mais, quand tu sais que, derrière, tu ne peux pas assurer, que tu restes sur la touche parce que tu t’es fait mal… Cela crée un souvenir un peu mitigé. Mais cela restera un match absolument exceptionnel, que je n’oublierai jamais…
« Je me souviens exactement ce que j’ai ressenti le jour où j’ai battu Nadal »
Tu t’en rappelles bien, de ce match, tu en gardes des souvenirs très précis ?
Je me souviens exactement de ce que j’ai ressenti ce jour-là. A l’échauffement, déjà : je me suis dit « mince, je n’ai pas tapé une balle tellement il frappe fort » (rires) ! Derrière, je sais qu’il faut vraiment que je commence bien sinon ça risque de tourner en boucherie. Après le premier set, j’avoue avoir pensé que c’était déjà pas mal de lui avoir pris une manche. Je n’avais pas été ridicule, au moins. Ensuite, je mène deux sets-zéro… Je me dis « cool, l’honneur est sauf » (rires) ! Et puis, tu te retrouves à servir pour le match…
Le bras tremble un peu à ce moment-là ?
Bizarrement, non, pas vraiment. J’ai vraiment conscience de ce que je suis en train de faire, mais je doute encore. A 40-15 pour moi, c’est un peu plus difficile, je pense que je peux vraiment gagner, mais, en même temps, c’est Rafa, en face. Tu sais qu’il est capable de tout, de te calmer en un coup, de revenir de nulle part. Mais tout se passait bien, donc je n’avais foncièrement pas de raison de paniquer.
« Le tennis, c’est un sport où tu perds toutes les semaines »
Une victoire comme celle-ci, c’est particulier, mais le premier titre ATP, ça a encore une autre résonnance…
C’est sûr que c’est quelque chose d’énorme ! Pour Roger ou Rafa, je ne sais pas (rires), mais pour moi qui n’en ai pas gagné des tonnes… Ce sont des moments que tu gardes en tête. C’est gravé dans ton histoire et cela fait partie de toi, de ta vie. Le tennis, c’est un sport où tu perds toutes les semaines. Alors quand tu gagnes un tournoi, que tu enchaînes les victoires… D’autant qu’il y a une part d’irrationnel, dans tout ça : les grandes victoires partent souvent d’un coup de chance, d’une balle de match que tu défends, d’un coup qui prend la ligne… La chance se provoque et il faut t’accrocher, tout donner pour infléchir les choses en ta faveur. Mais ce petit coup de pouce fait souvent la différence.
Comme tu le dis, c’est un sport où l’on perd toutes les semaines… Qu’est-ce qu’il faut faire de la défaite ? La relativiser ou, au contraire, accepter de se prendre la déception de plein fouet à chaque fois ?
C’est propre à chacun. Certains vont se mettre dans le trou après avoir perdu un match ; d’autres se disent « j’ai fait tout ce que j’ai pu »… Cela dépend des rencontres, de la façon dont on perd et de sa sensibilité. On a tous notre façon de réagir. Et puis, quand tu perds deux ou trois fois d’affilée, il faut rebondir…
« Nous, les joueurs, on est formatés, on ne peut plus s’exprimer comme on voudrait »
Et quand tu perds 10, 12, 15 matchs à la suite ?
Ah bah déjà, quand tu t’inclines au premier tour trois semaines de suite, c’est difficile à vivre, je peux en témoigner (rires). Mais alors, quand tu es dans une telle série de défaites… C’est compliqué, tu rentres dans un cercle vicieux. Tu n’as plus aucune confiance. Même si tu mènes au score, tu ne peux pas t’empêcher de penser que ça va mal tourner. Alors, il faut essayer de rester positif, d’autant que ça peut vite rentrer à nouveau !
La frustration, c’est ce qui peut faire vriller un joueur ?
Chacun est différent et gère ses émotions à sa façon. Ceux qui éclatent des raquettes, ils s’en servent pour évacuer le stress, la pression, la frustration et ça peut même les aider à bien jouer. Si ça fonctionne, tant mieux ; mais, pour d’autres, ça ne marche pas. Il y en a qui s’énervent plus que d’autres, qui parlent… Le problème, c’est que tu n’as plus le droit de dire quoi que ce soit, aujourd’hui. Le tennis est devenu un peu nul, de ce point de vue-là. Nous, les joueurs, on est formatés, on ne peut plus s’exprimer comme on voudrait. Tu dis un truc, tu prends une amende… C’est triste. Moi, je le ressens fortement. Je ne suis pas sûr qu’un McEnroe puisse encore exister demain.
« Kyrgios, il fait vendre des places à fond ! »
Nick Kyrgios est un peu dans cette veine…
Kyrgios, il fait vendre des places à fond. Quand tu es spectateur, tu sais qu’il peut péter une case, faire un service par le bas, casser cinq raquettes de suite…C’est toujours plus gai d’aller voir jouer Kyrgios ! Il fait tchik, il fait tchak, mais les gens qui le critiquent paient aussi pour le voir…
Tu as déjà pris des amendes, toi ?
Oui, comme tout le monde. Une fois, je me rappelle même avoir éclaté ma raquette sur un banc à Roland-Garros. J’avais pété une partie de la pancarte (sourire)… Il y a une part de comédie dans notre job. Et je trouve que le tennis devient un peu triste. Trop professionnel, trop sérieux… C’est devenu si strict que ça enlève un peu de la magie qu’il y avait avant.
La gestion des émotions, le fait qu’on puisse péter un plomb… C’est pourtant ce qui rend le tennis si difficile par rapport à d’autres sports, non ?
T’es toujours seul. Si tu n’es pas bien, tu ne peux pas te cacher derrière les autres. Et tu ne gagnes pas d’argent ! C’est un sport d’égoïste, c’est clair. Mais attention, on a quand même énormément de chance de se dire qu’on a choisi le tennis. On a la possibilité de vivre de notre passion et ce n’est pas le cas de beaucoup de gens… Alors, même s’il y a des moments moins marrants, tu peux gagner ta vie et vivre de supers émotions.
Rémi Capber