Il a commenté des milliers de matchs de tennis et tous les sacres de Roger Federer à Wimbledon. Sur beIN SPORTS, Frédéric Viard raconte la petite balle jaune comme personne depuis bien des années. Interview à retrouver dans le Mag 2025 de l’Open Sopra Steria, pour notre dossier « Raconte-moi le tennis ».

Découvrez le Mag 2025 de l’Open Sopra Steria en format original enrichi avec l’interview de Frédéric et le dossier « Raconte-moi le tennis » !

Frédéric Viard à Wimbledon, témoign du Mag de l'Open Sopra Steria de Lyon (crédit photo: PANORAMIC)
Frédéric Viard à Wimbledon, témoin du Mag de l’Open Sopra Steria de Lyon (crédit photo: PANORAMIC)

C’est quoi, un commentateur ?

Je dirais que c’est un accompagnateur. Les gens qui regardent la télé ont les images. Ils n’ont pas besoin de moi pour voir ce qu’il se passe. Je suis là pour les aider à profiter du spectacle, leur apporter un complément d’informations et de ressenti, mais toujours avec la distance nécessaire. Il ne faut jamais que je prenne la place du spectacle. En fait, c’est un peu comme un guide dans un musée. Les visiteurs viennent pour voir les œuvres et, moi, je suis là pour les aider à comprendre un peu mieux ce qu’ils regardent, sans imposer un point de vue. Et surtout, je ne dois pas les assommer d’informations inutiles.

Le métier a-t-il évolué depuis tes débuts ?

Ça a énormément changé. Quand j’ai commencé, les gens voulaient avant tout qu’on leur raconte ce qu’ils voyaient, avec un peu d’analyse et des anecdotes. Aujourd’hui, ils sont beaucoup plus informés, ils connaissent les joueurs et ont accès aux statistiques en temps réel depuis leur téléphone. On doit s’adapter et apporter une autre plus-value : expliquer les choix tactiques, les dynamiques de jeu, les ajustements en cours de match… L’évolution technologique a complètement changé la donne et nous, commentateurs, on doit suivre le rythme pour rester pertinents.

“Parfois, il faut juste se taire et laisser les images parler”

Un bon commentateur peut-il être un mauvais journaliste ?

Un bon journaliste n’est pas forcément un bon commentateur. Et vice-versa ! Le commentaire sportif demande une bonne connaissance journalistique et beaucoup de préparation. Certains commentateurs plaisent au public grâce à leur charisme et leur énergie, même s’ils ne maîtrisent pas toujours le sujet. Comme au cinéma, il n’y a pas de formule magique. 

Est-ce que, parfois, le meilleur commentaire, ce n’est pas… le silence ?

Évidemment ! Je me souviens d’un moment au Masters de golf avec Rory McIlroy. Il rentre son putt décisif, il gagne et la caméra suit tout ce qu’il fait pendant plusieurs minutes : il s’effondre de joie, il remonte l’allée, entouré de tout le monde. C’est une séquence très forte, qui dure 6-7 minutes à la télé. Pourtant, le commentateur anglais dit à peine 48 mots pendant tout ce temps ! Moi, franchement, je pense que j’aurais dit ces 48 mots en 30 secondes (rires). Je m’y suis essayé une fois. Durant une demi-finale de Champions Cup au rugby, j’ai laissé un long silence lors de l’entrée des joueurs sur le terrain. Les cris d’encouragements des joueurs résonnaient, au milieu du bruit des crampons… je voulais permettre aux spectateurs de profiter du naturel du moment. Mon consultant était étonné, mais moi, j’avais mon idée : c’est comme en cuisine, si le plat est parfait, pas besoin de rajouter quoique ce soit. Et c’est ça qui est dur dans ce métier : parfois, il faut juste se taire et laisser les images parler. En France, on a tendance à trop remplir le silence. C’est parfois mieux de dire moins et juste le bon mot, pour ne pas gâcher l’émotion. 

Et quand tu dois commenter un moment un peu long et ennuyeux ?

C’est un vrai défi, surtout quand le jeu manque de spectacle et risque de lasser le public. Dans ces moments-là, il faut réussir à capter l’attention autrement. Je mets en valeur l’intensité mentale et physique des joueurs, leur capacité à ne rien lâcher, même dans les phases creuses. J’essaie aussi d’apporter du contexte : une statistique marquante, une anecdote sur le parcours d’un joueur, un parallèle avec un match précédent. Ce sont des éléments qui donnent du relief à l’action. Je peux aussi décrypter les choix tactiques, les attitudes, la nervosité, les regards échangés. Ça permet de montrer que le tennis ne se résume pas aux points spectaculaires : il y a aussi la gestion des temps faibles, la tension, la concentration. Ces instants plus calmes deviennent alors l’occasion d’enrichir le commentaire et de maintenir l’intérêt du spectateur.

“Certains duos incarnent les grands rendez-vous”

Tu parles du consultant… en quoi son rôle est-il essentiel dans un duo de commentateurs ? 

Il est là pour apporter ce que le journaliste ne peut pas offrir : l’expérience vécue du haut niveau. Il transmet des sensations que seul un ancien joueur peut comprendre, comme servir pour le titre, affronter Nadal à Roland-Garros ou ressentir la pression de la Coupe Davis. Ce vécu donne de la profondeur au commentaire, plus encore dans les moments clés. Avec l’expérience, on peut s’amuser à franchir le pas entre commentateur et journaliste. Lionel Roux ou Fabrice Santoro commentent parfois comme des journalistes. Moi, à force d’année passées à couvrir le circuit, je me permets, le temps d’une ou deux analyses, d’entrer dans la peau du consultant. L’essentiel, c’est que le duo trouve son équilibre. 

Pourquoi est-ce important de former des duos réguliers en commentaire sportif ? 

C’est comme le double au tennis. La régularité permet de développer des réflexes, des automatismes, une écoute mutuelle… bref, une certaine forme de complicité ! Avec Lionel Roux par exemple, on commente ensemble depuis 2003 et aujourd’hui, on se comprend avant même de parler. Il anticipe mes remarques plus légères, prend le relai pour approfondir une analyse. Et puis, cette régularité crée aussi un repère pour le public. Quand les téléspectateurs entendent un duo bien identifié comme le nôtre, ils savent qu’ils assistent à un moment fort. Comme sur TF1, avec Margotton et Lizarazu qui commentent les grandes affiches en football. Ce genre de duo incarne les grands rendez-vous. 

On a d’ailleurs moins de duos féminins qui nous viennent en tête…

Et c’est bien dommage. Pendant longtemps, ce n’était tout simplement pas envisageable dans l’imaginaire collectif, ce qui explique un certain retard. Aujourd’hui encore, il y a peu de femmes dans les rédactions sportives, et donc peu d’étudiantes en journalisme qui s’orientent vers le sport. C’est un cercle vicieux : il faut des modèles à l’antenne pour créer des vocations, mais ces figures restent rares, surtout dans le commentaire. Et même lorsqu’elles sont présentes, certaines se heurtent à des résistances, notamment lorsqu’elles commentent du sport masculin. Il y a encore une idée tenace, y compris chez certains anciens joueurs, qu’une femme n’aurait pas la légitimité pour analyser un match d’hommes. C’est une habitude culturelle à faire évoluer, mais ça prendra du temps.

“J’aimais le naturel de Thierry Gilardi à l’antenne”

Et toi, quels ont été tes modèles ? 

Hervé Duthu, d’abord. Quand Yannick Noah gagne Roland-Garros, j’ai 14 ans, et c’est sa voix que j’entends. Plus tard, c’est lui qui m’a donné ma chance. Il m’a appris le métier, à rester humble, à être juste dans mes commentaires. C’était un vrai mentor, toujours là pour me dire quand c’était bien… ou pas (rires) ! Et puis, Thierry Gilardi. Quand j’étais étudiant, il était déjà à Canal+. Un commentateur exceptionnel. Ce que j’aimais chez lui, c’était son naturel à l’antenne. On avait l’impression d’être avec lui dans le canapé. Il était super préparé, imaginait tous les scénarios possibles… Même les plus improbables ! Un exemple : pour un match de rugby en Irlande, il était allé vérifier si, dans l’histoire, des matchs avaient déjà été interrompus à cause d’un attentat de l’IRA. Ça peut sembler excessif, mais ça montre à quel point il prenait son travail au sérieux. Il m’a appris qu’un bon commentateur, c’est aussi quelqu’un qui sait contextualiser, apporter des éléments culturels ou historiques autour du sport. Lui et Hervé Duthu m’ont vraiment inspiré, chacun à leur manière.

Il y a des événements sportifs que tu aurais rêvé de commenter ? 

Il y en a trois qui me viennent en tête : la finale de la Coupe du Monde de football en 1998. En rugby aussi : le match du 14 juillet 1979, à Auckland, pour la première victoire de l’équipe de France en Nouvelle-Zélande. Et forcément, Yannick Noah vainqueur à Roland-Garros ! 

On connaît ton affection pour Federer… Comment est-ce que ça se gère quand on commente ?

Tu le caches, mais c’est différent quand c’est un Français contre un étranger. Là, on te laisse être un peu cocardier. Et, moi, je le suis ! Le plus important, c’est que l’amour ne te rende pas aveugle. Si ton joueur préféré n’est pas bon, il faut le dire. Comme à Wimbledon, en 2019 : Federer a perdu parce que Djokovic a été meilleur, surtout dans les moments clés. Moi, je dois le dire, sans crier sur Federer, juste reconnaître la réalité. Et puis, maintenant, je n’hésite plus à dire ouvertement que j’étais pour Federer. Et je lui ai même fait un câlin à l’antenne une fois (rires) !

Entretien réalisé par Eliott Caillot