Manuel Guinard et Grégoire Jacq nous ont accordé une longue interview. Nos vainqueurs de l’édition 2023 en double, toujours aussi sympathiques, se racontent sans réserve. Un beau moment !
Quel chemin parcouru depuis l’année dernière ! C’était votre deuxième tournoi ensemble avec un premier titre au bout… Quels sont vos ressentis en revenant sur les terres de l’Open Sopra Steria ?
Guinard : On est très content de revenir ici, très content de remettre le titre en jeu. On va essayer de faire aussi bien que l’année dernière ; ça nous ouvrirait de nouveaux horizons. On a été très bien accueillis encore une fois, le tournoi est toujours très bien organisé, tout est fait pour qu’on se sente bien. C’était une évidence pour nous de revenir ici à Lyon.
Comment vous êtes-vous retrouvés à jouer en double, c’était prévu ?
Jacq : Un peu par hasard…
Guinard : Lors de notre tout premier tournoi à Troisdorf, je n’étais pas censé jouer en double et je gagnais très peu de matchs en simple. J’avais une période difficile avec des blessures. Puis, Greg est venu me voir en me disant qu’on allait faire le cut et m’a proposé de jouer le double. J’ai accepté en me disant que ça pourrait m’aider à enchaîner. Je me souviendrai toujours du premier jeu où, dès le deuxième point, nos adversaires envoient un missile au centre. Greg réussit à la renvoyer, et je me suis dit : “Ah oui, il s’est passé quelque chose !”
Jacq : C’est vrai qu’on a très bien joué dès le début. On s’entend très bien en dehors du court aussi, ce qui est super important pour jouer toute l’année ensemble. Finalement, on a enchaîné après, c’est top. Tout ça fait déjà un an.
Vous avez réalisé une superbe performance en gagnant trois titres après celui de Lyon en 2023, tous sur terre battue. C’est votre surface favorite ?
Jacq : Sur terre battue, on se sent bien, on peut faire un peu plus de choses. On a gagné aussi sur dur, mais on se sent mieux sur terre. L’année dernière, après Lyon, on a tout de suite enchaîné sur de bons matchs. Peut-être que nos origines sud-américaines inexistantes y sont pour quelque chose (rires) !
Vous avez joué Roland-Garros cette année. Manuel, tu étais dans le train quand tu as eu cet appel qui a tout changé…
Guinard : On était stressés jusqu’à 10h30 car on n’était pas sûrs de rentrer. Il y avait une équipe qui pouvait nous passer devant mais elle n’avait jamais signé de la semaine. Donc nos chances à ce moment-là, c’était du 60-40. Quand on a appris qu’elle pouvait quand même signer le jour même, on s’est dit que c’était foutu…
Jacq : Manuel était sur la route entre l’Allemagne et Paris sur l’A4 (rires). Et à ce moment-là, je lui annonce qu’on n’est pas sûrs de rentrer. Il me dit que de toute façon il est sur la route, mais finalement à 10h30 on a eu la bonne nouvelle.
Guinard : C’était un soulagement. Il y a eu un peu de tout : on était tendus, mais aussi soulagés. On avait hâte de rentrer sur le court, mais, avec la route, j’étais fatigué. Il y avait beaucoup de choses à gérer. D’ailleurs, on ne fait pas un très bon début de match : on est menés 5-2, puis on finit par gagner 7-6, en renversant totalement la situation. Au cours de l’année, ensemble, on a réussi à retourner beaucoup de situations…
Jacq : Oui, on a renversé beaucoup de situations ensemble. En double, c’est parce qu’on s’apprécie beaucoup. Dans chaque situation, on joue pour nous, mais aussi pour l’autre et pour le coach. C’est l’avantage du double : se supporter mutuellement et s’encourager. À 5-2, je me suis dit, c’est normal, on vient d’arriver, je sors de la bagnole (rires) et finalement, on a réussi à retourner le match. On a bien profité.
Le double, c’est une école de la vie, on s’entraide, on se soutient…
Guinard : C’est sûr. Cette année-là, on a gagné pas mal de tournois, on a été performants mais on a eu des moments difficiles sur dur où on a perdu cinq fois d’affilée contre de très bonnes équipes. Ces défaites peuvent nous priver d’opportunités importantes. Je pense à Pau où c’était la troisième fois d’affilée qu’on s’inclinait ensemble. On a perdu 10-8 au super tie-break contre Arneodo / Weissborn qui a fait finale en Masters 1000. Il y a eu pas mal de matchs comme ça. On se disait que le contenu était bien, mais qu’on ne gagnait pas. On a eu des moments de réflexion sur le maintien de notre association, parce qu’il fallait quand même qu’on gagne. Finalement, on s’est bien maintenus et, grâce à Roland Garros, on nous l’a bien rendu !
Jacq : L’objectif est d’avoir un ressenti positif sur le contenu. On savait qu’on jouait bien, qu’on n’était pas loin. On a persévéré et on a gagné quelques matchs en suant.
À Roland-Garros, en huitièmes de finale, vous avez joué sur le court Suzanne-Lenglen. Qu’est-ce que ça fait de jouer sur un tel court ?
Jacq : C’est très bizarre…
Guinard : Non, c’est comme le court 2 (rires).
Jacq : On a eu l’occasion de s’entraîner une heure la veille dessus, ça fait du bien pour prendre des repères. L’entrée est spéciale, tu as un mélange d’adrénaline. Tu as envie d’y aller, tu ne sais pas trop. J’ai cette image de quand on est dans le tunnel, tu vois le court, les gens qui passent leurs têtes avec les téléphones en train de te filmer, il y a les caméras, les photographes. C’était une bonne expérience. Je l’ai prise comme ça. Si ça nous arrive une prochaine fois, on saura à quoi s’attendre.
Manuel, tu joues beaucoup en simple, le double t’a aidé dans ton jeu aussi ?
Guinard : Le double m’apporte beaucoup pour le simple, mais inversement aussi. J’estime que je joue en double avec mes qualités de joueur de simple. Et que, grâce à l’expérience du double, je peux faire des choses en plus, comme monter au filet… Je suis plus à l’aise avec les enchaînements, les retours de service. Les deux m’apportent mutuellement. J’aime beaucoup jouer en double aussi. Pour moi ce sont deux sports différents, deux visions différentes.
Jacq : J’ai beaucoup joué aussi en simple, mais tu n’as pas du tout ce que tu as en double, notamment cet aspect d’esprit d’équipe.
Guinard : Le placement aussi !
Jacq : Le double n’apporte rien de mal au simple… hormis le temps que tu passes au club (rires).
Tu arrives à bien gérer ce calendrier de simple et de double ?
Guinard : Oui, c’est devenu une routine, ça a toujours été bien rodé.
Vous êtes 40e à la Race, quels sont vos objectifs ?
Jacq : Je ne le savais pas, tu le savais toi ?
Guinard : Vamos ! Seulement depuis hier…
Jacq : On va déjà essayer de survivre à cet été, on a beaucoup de points à défendre, voir où on en est. J’ai du mal à avoir des objectifs en termes de classement, c’est surtout le contenu qui compte. Tant qu’on joue bien, on est content, on cherche surtout à être cohérent. Tant qu’on sent qu’on est dans la bonne direction tennistiquement, on se sent bien. Si on doit descendre un peu, car on a des points à défendre, la priorité est de bien jouer.
Vous pensez que le double est assez mis en valeur aujourd’hui ?
Jacq : L’identité de joueur de double est méprisée sur le circuit. C’est presque honteux de dire que tu es joueur de double certaines fois, c’est presque une moquerie. Enfin, je trouve. La mise en avant est presque inexistante sur le circuit, même pour les meilleurs. Quand je vais sur les tournois, les gens aiment le double, ils le pratiquent même, ils le regardent, car ça va vite, il y a des réflexes. Dans les directions de tournois, on nous explique que ça coûte beaucoup d’argent, il faut loger, nourrir les joueurs, et que ça ne rapporte rien. J’ai l’impression que c’est presque une purge.
Guinard : (rire) Le mot est fort, purge…
Jacq : J’ai l’impression qu’à aucun moment, ils se disent qu’ils pourraient en faire quelque chose de bien, et je trouve ça dommage. On nous explique que le numéro un mondial a 44 ans, il a du ventre, ce n’est pas terrible pour la vision du sport. Moi, je pense que c’est des conneries. C’est une autre discipline, on demande autre chose aux joueurs. Oui, on ne demande pas de taper la balle du fond du court, mais on a de très bons réflexes. Je pense qu’on peut faire du double quelque chose de très bien mais pour le moment, ce n’est pas une optique de l’ATP ou des tournois.
Guinard : Rien à ajouter.
Quel a été votre plus beau moment en double ?
Jacq : Je vais faire le lèche-botte mais pour moi… c’est ici.
Guinard : Non, mais pour moi, c’est ici, quand j’arrive, que je vais voir Lionel (Roux, directeur du tournoi) et que je lui dis : « Écoute, tu n’aurais pas une petite wildcard qui traîne ? »
Jacq : Moi, je n’avais jamais gagné de Challenger. Je disais à Manuel : « Si c’est comme ça toutes les semaines, c’est exceptionnel. » C’était un peu comme à Roland, on n’était pas censés jouer le tournoi, mais Lionel nous a invités avec une wild card et finalement, on joue, on gagne, c’était exceptionnel ! Lyon a été très fort l’année dernière et j’espère que ça le sera cette année aussi, même si ce n’est plus la première fois. Ça a été très spécial.
Lorsque vous êtes venus en 2023 à l’Open Sopra Steria, vous n’aviez pas d’attentes particulières ?
Guinard : On était surtout contents de pouvoir enchaîner les matchs.
Jacq : On sortait d’une finale quand on est arrivés à Lyon, puis dès qu’on arrive, on joue contre la première tête de série au premier tour, et on joue bien. À partir de ce moment-là, on s’est dit qu’on pouvait gagner.
Guinard : Oui, on jouait contre les premières têtes de série puis les troisièmes et enfin les deuxièmes en finale…
Jacq : C’était un bon tournoi !